Légende de « la pierre des bignes »

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La légende de la pierre des bignes

Tiré du bulletin de B. Edeine, cette légende lui a été transmise par J Chrétien.
Bulletin de la Société préhistorique française, tome 08, 1971, Etudes et Travaux, fasc. 2
Le complexe mégalithique de la Pierre des Bignes commune ďHabloville (Orne)
par B. Edeine.

bonne lecture.

« Dans les campagnes et dans les villes, le peu de soin qu’on prend de la sépulture des morts, est loin de parler en faveur du caractère d’aujourd’hui. Lambert parlait ainsi lorsque son ami Gérard lui cita un tertre factice situé dans la plaine de Fresnay-le-Buffard, où un spectre se montre au clair de lune sous différentes formes. Les fées, ajouta-t-il, viennent aussi y sécher le linge qu’elles ont lavé dans les fontaines voisines. Cette éminence factice renferme des trésors dans des chambres souterraines éclairées par des lustres d’or, dont la lumière paraît éternelle. Le génie préposé à la garde de ce monument, se promène quelquefois aux environs, sous la figure d’un géant couvert d’une longue robe blanche, et portant une toque de la même couleur et garnie d’or, quelquefois il apparaît sous la forme d’un lièvre ou d’un lapin.

Un jour ayant choisi la figure d’un chat noir, celle de géant paraissant effrayer les voyageurs autant que les nippes de fées, Jérôme surnommé Fricotot, vint à passer, et voyant un chat bien tourné qui s’allongeait, se dressait sur ses pattes, en se caressant les flancs avec sa queue et baissant la tête comme pour inviter à s’approcher de lui, Fricotot se dit : il est beau le petit mimi, mais si c’était le spectre ? Au reste il n’a encore mangé personne ; voyons ce qu’il va faire, « Mimi, mimi, mimi, que tu es joli. Si tu étais à la maison je te donnerais du bon lait ».

Le chat fixant ses yeux sur lui, répondit : merci, merci mon bon voisin… Mais qu’avez-vous donc ? Vous me trouviez joli il n’y a qu’un instant, et vous vous effrayez en m’entendant parler. Est-ce que ma voix vous paraît rude ? Je vais pour vous complaire la rendre plus douce, s’il m’est possible. Prenez courage, dit-il d’un ton mielleux, et profitez d’une bonne occasion, je suis las de jouer des tours aux passants et ennuyé de garder de l’or, de l’argent et des objets qu’on dit aussi précieux.

Si vous voulez être sage je vais vous enseigner un moyen sûr pour vous emparer de toutes ces richesses, sans danger. C’est là qu’elles sont maintenant déposées ces richesses. Il allait sans doute faire sa confidence, lorsque Fricotot, revenu à lui, l’interrompit en disant : je vous rends grâces, mon bon ami, je ne suis pas ambitieux, d’ailleurs je suis assez riche, quoique possédant peu.

Si vous voulez venir jusque chez moi, vous allez en juger. Le chat accepta l’invitation, en disant, je vais goûter au lait. Content de trouver un passe-temps, il se mit donc à marcher debout sur ses pattes de derrière, en se démenant si vite que Fricotot avait peine à le suivre. Les deux amis allaient arriver à Fresnay sans s’être dit un mot, lorsque le chat noir, s’arrêtant dit, ne parlons pas de trésor devant votre femme. Pas de secret confié aux femmes, elles aiment trop babiller, puis je me défie des femmes il n’y a pas de ruses qu’elles ne connaissent. C’est convenu répondit Fricotot en pensant que la sienne aurait pu rendre trois points au plus malin des esprits.

D’ailleurs, ajouta-t-il, j’ai une petite commission à faire dans le voisinage, si vous le permettez je vais m’acquitter durant que vous allez manger votre lait. De votre côté, gardez l’incognito, et à mon retour je vous apprendrai une nouvelle. Allons approchons, permettez pour éloigner tout soupçon que je vous prenne sur mes bras. Mais je réfléchis, n’allez-vous pas me brûler ? Ne craignez rien répondit le gnome qui d’un saut s’était placé sur son bras, et qui s’apercevant que la porte était déjà ouverte, lui faisait des caresses à la manière des chats, en grondant et gesticulant. Fricotot savait être le bienvenu en apportant un mimi à sa femme.

Il lui dit donc, je vous apporte un hôte, mais à condition que vous allez lui donner du lait chaud, le voyage l’a enrhumé. Le chat se mit à tousser, à éternuer. Allons, allons, lui dit la femme, calmez vous mon petit, et elle l’embrassa avant même son mari, qui déjà avait essayé de lui faire à son retour, les civilités accoutumées. Elle ne pensait qu’au chat, car elle les aimait sous tous poils. Madame Fricotot ne perdit pas de temps, elle alla tirer du lait chaud, et à son retour Fricotot qui avait encore engagé son hôte à ne pas s’ennuyer durant son absence qui n’allait pas être longue, prévint sa femme qu’il sortait pour faire une commission pressante dans le village. Celle-ci, contente du cadeau qu’il lui avait fait, ne se permit contre son habitude, aucune observation. Cependant le chat qui avait mangé son lait se prit à crier, crier toujours.

Il lui faut encore du lait pensa la femme. Elle se leva pour lui en donner, mais ayant posé près d’elle le vase qui en contenait pour mettre l’assiette du chat à sa place sous le buffet, le malin drôle sauta dessus et le tirant vers soi avec violence, il le cassa en voulant renverser ce qui restait de lait. Madame Fricotot se dit voilà un chat qui ne commence pas mal, il a renversé le lait et cassé la chopine, si mon mari le savait, je ne sais comment cela se passerait. II pourrait en faire comme de celui qui montait sur la table pour se régaler lorsque l’occasion se présentait. Elle était occupée à faire disparaître le lait lorsqu’elle entendit tomber un verre. Ah, ça ! se dit-elle encore, en jetant les yeux sur le buffet, comment s’y est-il pris pour cette faute. Je ne peux la cacher, c’est le verre du Maître. Méchant néro, tiens reprit- elle, se parlant toujours à elle-même, le nom n’est pas mauvais. Je t’appellerai Néro. Néro ! Néro ! le chat toujours criant tourna sur elle deux yeux de feu.

Il a bien les yeux méchants, se dit-elle encore, mais quand ce serait le diable en personne, je referai son éducation, et je lui ferai perdre ses mauvaises habitudes. Le gnome qui avait entendu ce qu’elle venait de penser, voulut rire et marquer le plaisir qu’il éprouvait en apprenant de pareilles choses, mais sa figure de chat prit une expression si chiffonne et son cri fut si ridicule, que Madame Fricotot recula d’un pas, et se remit à l’ouvrage. Un moment après le chat saisissant le moment où elle mouchait la chandelle, lui sauta sur le dos, et d’un coup de patte renversa sa coiffure, qui servit d’éteignoir, et il se mit à crier d’une manière étrange. La femme était effrayée et ne savait quel parti prendre, désireuse que son mari ne se fit attendre. Le chat allant d’un coin à l’autre de la maison, continuait son tintamarre et s’amusait beaucoup de la colère et de la crainte de la pauvre femme. La chandelle était rallumée, lorsque Fricotot rentrant dit qu’il avait été retenu plus longtemps qu’il n’espérait. Sa femme se mettait en devoir de lui raconter une partie de ce qui s’était passé, mais il ne lui en donna pas le temps. Le chat s’était approché de Fricotot, et le caressait, pour lui il continuait d’avancer vers le lit, près duquel était sa montre accrochée.

En la saisissant il dit : onze et demie, puis en remettant la montre à sa place, il profita de l’occasion pour s’emparer d’un rameau de buis béni, qu’il trempa dans le petit bénitier de porcelaine qui se trouvait au-dessous, et se détournant promptement, il lança une pluie de cette eau sur le chat, qu’elle brûla d’une telle manière qu’il poussa un cri à faire trembler les vitres, en s’échappant, je ne sais sous quelle forme, par la cheminée. La femme resta interdite, mais sans plus tarder, Fricotot lui fit part du tour qu’il venait de jouer. C’est le gardien du trésor des Bignes, dit-il, que tu viens de voir déguerpir, j’ai l’or qu’il conservait si bien, et tous les bijoux sont en ma possession. Il m’avait promis de m’enseigner un moyen pour m’en emparer, mais je ne me fie pas aux promesses des diables quelques sincères qu’elles paraissent. Quant au gnome, car c’est ainsi qu’on appelle les gardiens d’argent caché, à son arrivée aux tertres, il s’aperçut qu’il avait été joué, mais il ne se plaignit que de l’aspersion, et il se promit bien de faire tout son possible pour que Fricotot dépense et mange tout en peu de temps, ce à quoi il n’a pas manqué. C’est donc en vain, que les chercheurs de trésors d’Habloville et d’autres lieux, viennent y jouer de la baguette, puisqu’il ne s’y trouve plus rien depuis 1811»